Des "Américains inconnus" en train de provoquer une guerre civile

lundi 10 juillet 2006

Robert Fisk

Le célèbre reporter britannique Robert Fisk : Découverts via une
loupe syrienne, des « Américains inconnus » sont occupés à provoquer
une guerre civile en Irak. L’Amérique est piégée dans les sables
sanglants de l’Irak et tente désespérément de provoquer une guerre
civile autour de Bagdad afin de pouvoir réduire ses propres pertes
militaires.
29avr06 « The Independent » -- En Syrie, le monde semble de plus
en plus sombre, vu par la lorgnette locale. Aussi sombre que les
vitres fumées de la voiture qui m’emmène vers un bâtiment situé dans
la zone occidentale de Damas et où un homme que je connais depuis
quinze ans - appelons-le une « source sûre », pour reprendre les
termes utilisés par les correspondants américains quand ils parlent
de leurs puissants officiers de renseignements - m’attend avec son
horrible récit du désastre irakien et des dangers au Moyen-Orient.
Ce qu’il dépeint, c’est un portrait effrayant d’une Amérique
piégée dans les sables ensanglantés de l’Irak et tentant
désespérément de provoquer une guerre civile autour de Bagdad afin de
réduire ses propres pertes militaires. C’est un scénario dans lequel
Saddam Hussein reste le meilleur ami de Washington, dans lequel la
Syrie a répliqué aux insurgés irakiens avec une absence de pitié que
les États-Unis préfèrent ignorer. Et dans lequel le ministre de
l’Intérieur syrien, découvert mort par balle dans son bureau l’an
dernier, s’est suicidé en raison de sa propre instabilité mentale.
Les Américains, soupçonnait mon interlocuteur, tentent de
provoquer une guerre civile en Irak de façon que les rebelles
musulmans sunnites dépensent leur énergie à tuer leurs
coreligionnaires chiites plutôt que les militaires des forces
d’occupation occidentales. « Je vous jure que nous avons
d’excellentes informations », me déclare ma source, lançant un index
péremptoire devant lui. « Un jeune Irakien nous a raconté qu’il avait
subi de la part des Américains un entraînement de policier à Bagdad
et qu’il avait passé 70 pour 100 de son temps à apprendre à conduire
et 30 pour 100 à s’entraîner avec des armes. Ils lui ont dit :
‘Reviens dans une semaine.’ Quand il est revenu, ils lui ont refilé
un GSM et lui ont dit de rouler dans une zone très peuplée, à
proximité d’une mosquée, et de leur téléphoner. Il a attendu dans le
véhicule mais n’a pu obtenir le signal mobile adéquat. C’est ainsi
qu’il est sorti de son véhicule pour avoir un meilleur signal. Et, à
ce moment, son
véhicule a explosé. »
Impossible, me dis-je. Mais ensuite, je me rappelle le nombre de
fois où des Irakiens, à Bagdad, m’ont raconté des histoires du même
genre. On croit ces rapports, même s’ils paraissent invraisemblables.
Et je sais où l’on peut glaner une bonne part des informations
syriennes : parmi les dizaines de milliers de pèlerins chiites qui
vont prier à la mosquée de Sayda Zeinab, à l’extérieur de Damas. Ces
hommes et ces femmes viennent des quartiers déshérités de Bagdad,
tels Hillah et Iskandariyah, de même que des villes de Najaf et
Bassora. Des sunnites de Fallujah et Ramadi vont également visiter
Damas pour y voir des amis et des proches et parler librement des
tactiques américaines en Irak.
« Il y avait un autre homme encore, entraîné par les Américains
pour faire partie de la police. À lui aussi, on a donné un GSM et on
lui a dit de téléphoner vers une zone où se massait une foule - peut-
être une action de protestation - et de leur raconter ce qui se
passait. Là non plus, le GSM ne fonctionnait pas. Il s’est donc servi
d’un téléphone par fil et a appelé les Américains pour leur dire :
‘C’est moi, à l’endroit où vous m’avez envoyé, et je puis vous
raconter ce qui se passe ici.’ Et, au même moment, il y a eu une
énorme explosion à son véhicule. »
Ma source ne m’a pas spécifié qui pouvaient bien être ces «
Américains ». Dans le monde frappé par l’anarchie et la panique
qu’est l’Irak, il y a de nombreux groupes américains - y compris les
innombrables satellites supposés travailler pour l’armée américaine
et le nouveau ministère irakien de l’Intérieur soutenu par l’Occident
- qui opèrent au mépris de toutes lois et règles. Personne n’a pu
être accusé de l’assassinat de 191 professeurs d’université et autres
enseignants depuis l’invasion de 2003, ni du fait que plus de 50
anciens pilotes de chasseurs bombardiers qui ont attaqué l’Iran lors
de la guerre irano-irakienne de 1980-88 ont été assassinés dans leurs
villes de résidence en Irak ces trois dernières années.
Au milieu du chaos, un collègue de ma source me demanda comment on
pouvait escompter que la Syrie allait réduire le nombre d’attaques et
d’attentats contre les Américains à l’intérieur de l’Irak. « Notre
frontière n’a jamais été sûre », dit-il. « À l’époque de Saddam, les
criminels et les terroristes de Saddam traversaient nos frontières
pour attaquer notre gouvernement. J’ai construit un mur de terre et
de sable le long de la frontière, à cette époque. Mais trois voitures
piégées envoyées par des agents de Saddam ont explosé à Damas et à
Tartous - c’est moi qui ai capturé les criminels responsables. Mais
nous n’avons pu les empêcher d’agir. »
Maintenant, me dit-il, le rempart longeant sur des centaines de
milles la frontière entre la Syrie et l’Irak a été surélevé. « J’ai
fait placer des barbelés au sommet et, jusqu’à présent, nous avons
capturé quelque 1500 Arabes non syriens et non irakiens essayant de
traverser et nous avons également empêché 2700 Syriens de franchir
cette frontière... Notre armée est sur place - mais l’armée irakienne
et les Américains ne sont pas présents de l’autre côté. »
Derrière ces graves soupçons entretenus à Damas, il y a le
souvenir de la longue amitié entre Saddam et les États-Unis. « Notre
Hafez el-Assad [l’ancien président syrien décédé en 2000] avait
appris qu’au début de son pouvoir, Saddam avait rencontré les
Américains une vingtaine de fois en quatre semaines. Cela avait
convaincu Assad que, en paroles, ‘Saddam était avec les Américains’.
Saddam fut le principal assistant des Américains au Moyen-Orient
(lorsqu’il attaqua l’Iran en 1980) après la chute du shah. Et il
l’est toujours ! Après tout, c’est lui qui a amené les Américains en
Irak ! »
Ainsi, je débouche sur une histoire qui est plus déprimante pour
mes sources : la mort par balle du général de brigade Ghazi Kenaan,
ancien chef des renseignements militaires syriens au Liban - un poste
particulièrement influent - et ministre syrien de l’Intérieur lorsque
son suicide fut annoncé par le gouvernement de Damas l’an dernier.
Des rumeurs très répandues à l’extérieur de la Syrie ont suggéré
que Kenaan avait été soupçonné par les enquêteurs de l’ONU d’avoir
été impliqué dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais
Rafik Hariri lors d’un gigantesque attentat à la voiture piégée à
Beyrouth, l’an dernier, et qu’il avait été « suicidé » par des agents
du gouvernement syrien afin de l’empêcher de dire la vérité. Mais ce
n’est pas vrai, a insisté mon premier interlocuteur. « Le général
Ghazi était un homme qui croyait qu’il pouvait donner des ordres et
que tout ce dont il rêvait pouvait se réaliser. Quelque chose s’est
produit qu’il n’a pu digérer - quelque chose qui lui a fait
comprendre qu’il n’était pas tout-puissant. Le jour de sa mort, il
s’est rendu à son bureau au ministère de l’Intérieur, puis il est
reparti et s’est rendu chez lui durant une demi-heure. Puis il est
revenu avec un pistolet. Il a laissé un message à sa femme dans
lequel il lui disait au revoir en lui demandant de
veiller sur leurs enfants et il a dit également que ce qu’il allait
faire, c’était ‘pour le bien de la Syrie’. Puis il s’est tiré une
balle dans la bouche. » À propos de l’assassinat de Hariri, les
officiels syriens aiment à rappeler les relations de l’homme avec
l’ancien Premier ministre intérimaire irakien, Iyad Alawi - de son
propre aveu, un ancien agent de la CIA et du MI6 - ainsi qu’un marché
d’armes supposé, de 20 milliards de USD, entre la Russie et l’Arabie
saoudite, marché dans lequel aurait été impliqué Hariri, toujours
selon les dires des officiels syriens.
Les partisans libanais de Hariri continuent à réfuter l’argument
syrien en prétendant que la Syrie avait identifié Hariri comme étant
le coauteur, avec son ami le président français Jacques Chirac, de la
résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui exigeait le retrait
des Syriens du territoire libanais.
Mais si les Syriens - et cela se comprend - sont obsédés par
l’occupation américaine de l’Irak, la longue haine qu’ils vouent à
l’égard de Saddam - et cette haine, ils la partagent avec la plupart
des Irakiens - est toujours intacte. Quand j’ai demandé à ma première
source « sûre » quel serait le sort de l’ancien dictateur irakien, il
m’a répondu, en frappant sa paume du poing : « Il sera exécuté ! Il
sera exécuté ! Il sera exécuté ! ».

© 2006 Independent News and Media Limited

Source : http://fr.groups.yahoo.com/group/alerte_otan/messages
Liste gérée par des membres du Comité de Surveillance OTAN.